

CRÉATION 2021 OPÉRA THÉÂTRE
Texte . Marion Coutris. Mise en scène . Serge Noyelle. Composition . Marco Quesada.

Un langage des songes
Dans un espace étrange qui pourrait être un songe, une zone de transit, un salon cosmopolite, ou un plateau de cinéma, semble convoquée une assemblée d’êtres en errance, apparaissant à l’appel d’un roi frappé d’amnésie, père déchu d’une lignée saisie par le doute d’exister, fol époux au cœur d’une famille mal recomposée. Les Mariés de l’Apocalypse révèle la souillure d’une génération incestueuse.
C’est la tragédie d’un roi Lear d’après le désastre, ou juste avant, mêlée au jeu de stratégie d’un clan mafieux. C’est le voyage d’un Ulysse qui n’aurait jamais quitté Ithaque, ou un lieu de débauche dublinois : plutôt fils de Joyce que d’Homère. Entre la confession et le songe éveillé émergent les protagonistes d’une célébration à huis-clos, et on saisit l’implosion de la famille comme expression d’une société en crise.
Époux et amantes, mères, filles en révolte, fils bâtards ou prodigues, les maîtres et bouffons de cet étrange laboratoire in vitro, s’adonnent au rite d’un règlement de comptes, et puis entament ensemble une dernière danse avant que le néant ne les avale.
Le néant, c’est ici la réalité d’une seule journée, fragmentée à l’infini par la quantité des pensées intérieures qui la traversent. Cette odyssée mentale, ce voyage des comédiens, cette scène qui se fabrique au moment même du jeu, dans l’artifice et le vivant, constitue un poème intérieur, parlé, chanté, dialogué, qui restitue l’urgence d’être ensemble, et en laisse apparaître l’impossibilité absolue.
Dans l’élaboration de chaque spectacle, il y a une page blanche qui prélude à l’imminence d’une catastrophe impatiemment attendue, comme la menace de la chute du trapéziste, sans laquelle le cirque n’existerait pas.
Au début, il y a une vision chaotique, inattendue, primitive, qu’il faudra peu à peu dompter, comme Saint-Jean la Bête, dans l’Apocalypse.
Cette bête de feu, c’est la part sauvage de nos rêves, de nos désirs.
« Étrange. Ici, tout est étrange » disait la Winnie de Samuel Beckett dans Oh les Beaux Jours !
Et ce qui adviendra sur ce plateau aura à voir avec le langage des songes, et l’expérience intérieure, entre mélancolie et carnaval, parce que oui, même si le néant a depuis longtemps pris sa place dans l’âme des vivants, une sorte de rédemption païenne s’organise toujours pour désenchanter les cérémonies civiles, et faire renaître l’espoir des fantasmagories d’enfance, à peine réelles encore.
Marion Coutris




Un Opéra-Théâtre
Depuis de nombreuses années, nous cherchons à explorer une voie singulière reliant musique et théâtre. S’attacher à entendre chaque voix comme une harmonie, chaque phrase comme une musique, chaque vide comme un silence. Une partition s’écrit, qui intègre dramaturgie, composition musicale, écriture lyrique. En jeu, le souffle des acteurs, des chanteurs, oscillant entre parole parlée et chant. Le formel et le sensible ont partie liée. La voix chantée, transcendante, induit l’étrangeté et le chaos d’un monde intérieur inextricable, la parole est celle de l’instant présent, les images filmées racontent le fantasme ou le songe... à moins que tout ne s’inverse et que la sensation du réel ne se déplace d’un champ à l’autre, en permanence. Dès lors, est-ce le lieu du désastre, que le désastre aurait déserté ? Le lieu d’une très humaine comédie, drôle aussi, constituée d’instantanés, de rencontres, d’injonctions : la musique des vivants ?

Le mot du metteur en scène
Il y a plusieurs années, je traversais la ville de Gênes en voiture, et je me perdis sous l’autoroute.
Monde à l’orée du monde, au-dessous des ponts, des piliers, à côté de la civilisation. Un homme se faisait couper les cheveux devant une échoppe délabrée, un autre réparait une voiture, un cyclomoteur passait, bancal. Plus loin, une vieille bâtisse. Un ancien hôtel peut-être ? En y pénétrant du regard, je vis des hommes et des femmes assis dans des fauteuils, accoudés sur un comptoir, déambulant. Une partie de la façade avait sans doute brûlé.
Plus tard, je retrouvais la direction de l’autoroute et la signalétique de la civilisation. Avais-je rêvé cet hôtel délabré ? Etait-ce la réalité d’une vision crépusculaire ? Je racontai ces impressions à Marion Coutris, elle écrivit les Mariés de l’Apocalypse. Dès les premiers mots tout était prémonitoire.
Que s’est-il donc passé ?
L’expression artistique a-t-elle devancé la réalité ?
L’instant vécu nous plonge-t-il, soliptique, dans un déplacement du réel ?
La première séquence des Mariés de l’Apocalypse commence comme avant l’action sur un plateau de cinéma.
Les acteurs, femmes et hommes, sont assis dans des fauteuils un peu surdimensionnés, attendant cette phrase « Silence, on tourne ! Action ».
Elle ne viendra jamais.
Clin d’œil au cinéma mais ici, sur le plateau, tout est réel. Et tout est imaginaire. Nous sommes au théâtre.
Le théâtre n’a rien à voir avec la réalité : il est comme ces images sous l’autoroute de Gênes, un rêve éveillé.
Il n’y a donc pas de narration. C’est une agrégation d’impressions. Une famille composite. Un roi beckettien. Des corps désirants. Désirés. Des êtres frustrés.
Et ce mouvement entre la parole et le chant – lyrique, contemporain – nous entraîne dans un voyage immobile.
Serge Noyelle

« Dehors
Exposé, fragile.
À l’intérieur
Comme un prisonnier.
Jamais connue
La satisfaction d’être là où il faut, Absolument.
Devant une fenêtre.
Assis sur une chaise.
À genoux, sur le carrelage. Marchant Le long d’une route immobile.
Pour longtemps en attente. »
Marion Coutris.
Distribution
Artistique
Texte : Marion Coutris
Mise en scène & Scénographie : Serge Noyelle Composition : Marco Quesada
Costume : Cyril Bresset
Vidéo : Jean Boggio Pola, Nicolas Schiton
Assistante mise en scène : Estelle Chabretou
Création lumière : Serge Noyelle, Richard Psourtseff
Assistante scénographe : Marie-Claude Garcia Maquillage : Aline Raymann
AVEC Rémy Brès-feuillet, Lucas Bonetti, Marion Coutris, Nino Djerbir, Andrés Garcia Martinez, Virginia Guidi, Grégori Miège, Camille Noyelle, Jeanne Noyelle, Noël Vergès
Les MARIES de l'apocalypse

Directeur technique : Xavier Fananas
Régie générale : Richard Psourtseff
Régie plateau : Luc Garella
Régie lumière : Sylvain Bitor
Régie son : Alexandre Pierre
Musiciens : Patrick Cascino, Emmanuel Cremer, Yi Ping Yan & Jérémie Abt (en alternance), Marco Quesada & Magali Rubio