« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » René Char
« Le surréalisme est la surprise magique de trouver un lion dans un placard là où on était sûr à trouver des chemises. » Frida Kalho
Une très grande liberté habite l’univers singulièrement dérangeant, délicieusement féroce du Greta Koetz. C’est un collectif belge très créatif qui puise son inspiration dans le désir de s’affranchir des assignations sociales, psychiques, esthétiques qui rendent étanches les cloisons intérieures et celles du monde extérieur.
La question de la déviance est traitée avec humour, mais avec sérieux aussi.
Que se passe-t-il lorsque les petits arrangements quotidiens des couples citadins, la logique de leurs habitudes, se trouvent frappés de stupeur par la formulation d’un monstrueux interdit ? Dérangeant autant que libérateur et jubilatoire autant qu’intense, ce spectacle ne laissera personne indifférent.
Vous rirez sans doute beaucoup, et les acteurs – magnifiques d’évidence et d’impudeur – aiguillonneront une sarabande de questions où se reflètent nos peurs.
Où se situe la limite de notre désir de vivre ? D’aimer ? De faire société ?
Le théâtre de cette jeune équipe, avec cet étonnant mélange d’audace et de candeur, tourne le couteau dans la plaie de nos névroses sociales, et s’en amuse.
« Soudain, tout se passe comme si les pensées intimes de chacun, soigneusement enfouies derrière le vernis de politesse et de bonne conduite, se matérialisaient au grand jour. Morbides, érotiques, survoltées, gores... les scènes s’enchaînent dans un tourbillon de folie. On rit toujours... mais on est aussi cloué dans son siège par l’une ou l’autre scène totalement inattendue. Jusqu’au chant final, sur un champ de bataille ménagère dévasté, alliant étrangeté, musicalité, poésie et ultime pirouette.»
«...un vent de folie se lève sur le plateau et les petits sympas s’agressent, les couples éclatent sous nos yeux. Sang, larmes, vomissures, cannibalisme on n’échappe à aucun excès mais paradoxalement ils sont tous maîtrisés. Les violences sont comme une manière pour les couples de tenter la limite pour échapper au non-être et à la solitude (...) Chacun(e) vit dans ce léger «décalage» théâtral, entre le réalisme apparent, parfois sordide et la fable existentielle absurde. La logique de la folie, assaisonnée d’humour et de paradoxale joie de vivre, dégage une belle énergie de jeu, que le clavecin et l’accordéon de Sami (Dubot) rythment en douceur. Épatant (qui épate) ! »
«...Et c’est là la grande force du spectacle, qui tient aussi bien du conte sociophilosophique barré que de la farce psychanalytique. Il renvoie à l’acuité d’une Francesca Woodman sur ses propres angoisses et son vertige ontologique : « Les choses du réel ne me font pas peur, seulement celles qui sont au fond de mon esprit. »
C’est de ce tréfonds inconscient que surgit la sauvagerie, libérée au fil de la narration. L’intelligence des Greta Koetz est de ne pas l’avoir circonscrite à un périmètre étriqué et surmentalisé : car le sauvage s’exprime d’abord par le corps – qui ne triche pas, dit-on –, et cette expression manque souvent chez les émules chiendenavarresques issus de cette tradition théâtrale d’une écriture de plateau à la fois comique, crue et surréaliste. S’il y est question de dévoration, c’est bien parce qu’il s’agit d’une quête éperdue de transcendance, de résurrection d’une chair désattristée. On ne sait trop ce qu’il peut bien advenir de ce dérèglement des sens qui frappe les protagonistes, s’il est une purge roborative, une anor- malisation pour se retrouver soi-même, ou un égarement mortifère. Dans ces limbes où l’on s’interroge, la musique nous accompagne, depuis le chant introductif, en passant par les intermèdes de clavecin du mutique cinquième invité, Sami Dubot, jusqu’à la conclusion du spectacle, un tendre « After Hours » du Velvet Underground qui vient panser la brutalité de la dernière séquence de cannibalisme symbolique.
Le collectif Greta Koetz a su immédiatement trouver son ton et sa forme. Souhaitons-lui de creuser son sillon et de ne jamais renoncer à s’attacher en lui qu’à ce qu’il sent qui n’est nulle part ailleurs qu’en lui-même. C’est là le secret du vrai décalage cathartique : un pas de côté salutaire qui nous permet de dégager nos bronches des miasmes d’un réel affadi.»